Notes pour une allocution prononcée dans le cadre de l'Examen de la Politique de la Commission Arar - 2005

Notes pour une allocution prononcée dans le cadre de l'Examen de la Politique de la Commission Arar  par Joanne Weeks,
directrice exécutive du Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications

Le 18 novembre 2005

Bonjour.

Je vous remercie, Monsieur le Commissaire, de me donner l'occasion de formuler mes observations relativement à votre étude des différentes options portant sur l'examen des activités de la GRC concernant la sécurité nationale.

Mes remarques de ce matin s'ajoutent à celles qu'avait présentées le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, le très honorable Antonio Lamer, juge en chef du Canada (à la retraite), dans son mémoire du 11 janvier 2005.

Pour vous donner une idée de mes antécédents, j'aimerais préciser que j'ai près de 20 ans d'expérience dans le domaine, dont :

Au cours de cette période, j'ai eu amplement l'occasion de réfléchir au rôle et à la fonction d'examen en général et, plus particulièrement, à la méthode qu'utilise le gouvernement pour assurer l'examen des organismes de sécurité et de renseignement du pays.

Pour éviter toute ambiguïté, permettez-moi d'ajouter que lorsque je parle d'examen, il s'agit d'examen ex post, et non de surveillance. À mon avis en effet, la surveillance peut influencer la prise de décisions opérationnelles et risque de diluer la responsabilité des gestionnaires à l'égard des résultats de ces décisions.

Compte tenu de ma propre expérience, j'aimerais que vous reteniez de mon exposé d'aujourd'hui un message central: la structure en place aux fins de l'examen des organismes de sécurité et de renseignement du Canada est une excellente institution, et fonctionne bien.

Ses principales caractéristiques ont été établies en 1984 par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, dans les dispositions prévoyant la création du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS). En 1996, ces caractéristiques ont servi de fondement au premier mandat du commissaire du CST, établi par décret en vertu de la Loi sur les enquêtes. Par la suite, en 2001, elles ont été inscrites à la partie V.l de la Loi sur la défense nationale, qui instituait dans la législation tant le CST que le Bureau de son commissaire. Elles prévoient notamment ce qui suit :

J'estime que la structure canadienne est souple et qu'elle s'adapte facilement à des circonstances particulières; elle a notamment permis de créer un mécanisme afin d'examiner les activités de la GRC concernant la sécurité nationale.

Je tiens à préciser que je ne cherche pas à faire valoir uniquement le statu quo, mais plutôt à souligner que la structure actuelle doit être reconnue pour les forces qu'elle possède, qui, à mon avis, sont notamment la pertinence, la reddition de comptes et l'efficacité.

La pertinence de la structure actuelle repose sur trois éléments essentiels : l'indépendance, le pouvoir et l'accès, qui, à mon avis, constituent les pierres d'assise de tout contexte efficace d'examen d'un organisme de renseignement, et qui doivent être préservés.

L'avantage de maintenir la pleine indépendance de l'organisme d'examen est évident : cet organisme doit en effet pouvoir exercer ses activités à l'abri de toute interférence, quelle qu'en soit la source – les représentants du gouvernement, l'organisme visé par l'examen, les auteurs de plaintes ou tout autre intervenant.

Le pouvoir nécessaire et l'accès sans entrave aux gens, aux renseignements et aux activités opérationnelles sont tout aussi indispensables à l'efficacité de la fonction. La Loi sur les enquêtes confère au commissaire du CST le pouvoir de pénétrer dans tous les locaux de l'organisme et d'examiner tous les documents qu'il juge nécessaires. Elle lui donne également des pouvoirs d'assermentation et d'assignation à témoigner. Dans son mémoire de janvier, le commissaire Lamer a écrit ce qui suit (je cite) [traduit de l'anglais] :
« À mon avis, l'aspect le plus important de la création d'une fonction indépendante d'examen d'un organisme concerne moins les activités d'autres fonctions d'examen ou les rapports entre ces fonctions, mais plutôt les activités et risques associés à l'organisme qui fera l'objet de l'examen. »

Le commissaire Lamer soulignait l'importance d'adapter la structure d'examen pour qu'elle cadre avec le mandat, les responsabilités et les activités de l'organisme examiné. De fait, les organismes qui forment la collectivité de la sécurité et du renseignement exercent leurs activités en vertu de mandats et de textes de loi différents. Les activités de ces organismes et les risques qui y sont associés varient donc beaucoup.

Le SCRS, par exemple, est en contact journalier avec les Canadiens par l'entremise de programmes présentant divers degrés d'intrusion, qui sont conçus pour recueillir des renseignements sur les menaces qui pèsent sur le Canada. En conséquence, le CSARS doit être investi d'un vaste mandat, qui tient compte du fait que les rapports entre le SCRS et la population canadienne sont constants, aux besoins intrusifs et au cœur même de ses activités.

De son côté, le CST n'entretient aucune relation de cette nature avec les personnes qui se trouvent au Canada. Globalement, l'organisme travaille à l'appui des intérêts canadiens, en recueillant de l'information et des renseignements en dehors du territoire canadien à l'aide de toute une gamme de technologies de pointe. Ses activités ne le mettent en contact avec les gens qui se trouvent au Canada que lorsqu'il intercepte une communication privée et la traite comme l'exige la loi.

C'est pourquoi le mandat du commissaire du CST porte, comme il se doit, sur la légalité des activités du CST, en particulier en ce qui concerne le respect de la vie privée des individus au Canada.

Je crois qu'un examen ne peut être efficace que si l'organisme d'examen acquiert une connaissance de l'organisme visé et approfondit constamment cette connaissance, et qu'il s'efforce de comprendre le contexte dans lequel il évolue, entre autres ses politiques, ses pratiques et ses activités.

Un organisme d'examen dont les activités visent une seule entité peut recruter un personnel spécialisé, établir des politiques et des procédures et dresser des plans de travail étroitement adaptés à l'organisme visé.

Le Bureau du commissaire du CST a la latitude voulue pour définir ses politiques, ses procédures et ses activités, afin de s'acquitter de son mandat dans le contexte particulier du Centre de la sécurité des télécommunications.

Cette capacité à modeler ses activités d'examen en fonction de la nature de l'organisme visé constitue un avantage indéniable de la structure d'examen canadienne actuelle, et elle mérite d'être protégée.

J'aimerais à présent aborder une autre caractéristique avantageuse de la structure d'examen: le modèle actuel favorise la bonne gouvernance en établissant des rapports clairs en matière de reddition de comptes.

En effet, la fonction d'examen appuie le ministre responsable de l'organisme visé par l'examen. Dans notre cas, le commissaire adresse son rapport au ministre de la Défense nationale. La responsabilité du ministre devant le Parlement à l'égard des activités du CST est claire et assurée.

Parce qu'elle permet de fournir directement au ministre des évaluations des activités opérationnelles du CST, de cerner les problèmes le cas échéant et de recommander des mesures pour les corriger, la fonction d'examen renforce la capacité du ministre à exercer sa responsabilité de direction et de gestion du CST et aussi d'en rendre compte au Parlement. La responsabilité ministérielle est soutenue, entre autres, par le dépôt devant le Parlement du rapport annuel du commissaire, qui est un document public.

Pour les observateurs de l'extérieur, il n'est pas toujours évident de voir en quoi l'examen a porté fruit. La fonction d'examen, au sein du gouvernement, a tendance à être discrète et ses contributions à une gouvernance efficace et à la reddition de comptes attirent rarement l'attention – comme c'est souvent le cas pour les bonnes choses. Il est donc difficile pour des observateurs d'acquérir la somme de connaissances approfondies qui leur permettraient de mesurer l'efficacité des organismes d'examen.

La Commission des plaintes du public contre la GRC n'est naturellement pas un organisme d'examen externe, mais simplement un mécanisme de traitement des plaintes. Elle ne correspond donc pas au modèle que j'ai décrit.

Cependant, je crois que l'établissement d'une fonction d'examen pour la GRC pourrait s'inspirer du modèle d'examen mis en place par le Parlement pour le CST – et de ses qualités au chapitre de la pertinence, de la reddition de comptes et de l'efficacité.

C'est pourquoi, Monsieur le Commissaire, je vous invite à considérer très attentivement toute autre structure qui vous est proposée.

Je vous exhorte, en particulier, à poser un regard critique sur toute structure qui aurait des répercussions sur les arrangements en matière d'examen du CST, qui fonctionnent très bien.

D'après le document de consultation que cette commission a diffusé au mois d'octobre, certains ont proposé la création d ‘une « mégastructure » assurant l'examen de toutes les activités du gouvernement du Canada concernant la sécurité et le renseignement.

Les désavantages d'une telle approche dépassent grandement, à mon avis, ses avantages, à savoir :

  1. INCOMPATIBILITÉ avec la logique qui sous-tend l'organisation de la communauté canadienne de la sécurité et du renseignement en plusieurs organismes distincts.
  2. ACCÈS – la mégastructure d'examen pourrait avoir accès à plus d'information sur les méthodes et sur les sources que tout autre organisme de la communauté de la sécurité et du renseignement elle-même – foulant ainsi aux pieds le principe du « besoin de savoir ».
  3. Manque de clarté à l'égard de la REDDITION DE COMPTES – aux fins de l'examen des activités d'organismes relevant de plusieurs ministres, de qui relèverait la mégastructure? Si elle devait rendre des comptes au Parlement, quelles seraient les conséquences sur la capacité des ministres à rendre compte au Parlement des activités des organismes de renseignement qui relèvent de leur autorité?
  4. Enfin, la création d'une mégastructure d'examen perturberait fortement la communauté dans son ensemble. De telles conséquences ne seraient justifiées, à mon avis, que si la mégastructure était absolument indispensable – autrement dit, si la structure actuelle était vraiment déficiente.

Or, comme je l'ai déjà indiqué, je crois que la structure en place non seulement fonctionne, mais elle fonctionne bien.

Pour conclure, j'aimerais réitérer l'avis exprimé par le commissaire Antonio Lamer dans son mémoire de janvier.

Dans ce document, il déclare qu'à son avis la meilleure option serait la création d'un organisme qui examinerait les activités de la GRC concernant la sécurité nationale et qui ferait enquête sur les plaintes du public. Il affirme, je cite [traduit de l'anglais]:

« À mon avis, c'est là la démarche la plus efficace et la plus logique : efficace, parce qu'elle reconnaît le mandat unique de la GRC et qu'elle instaure un organisme d'examen correspondant, qui possède le savoir-faire voulu; logique, parce qu'elle limite le changement à apporter à la Commission des plaintes du public et à la GRC – les  deux organismes directement touchés. Cette solution n'aurait pas de répercussion sur les autres organismes ou groupes d'examen de la collectivité canadienne de la sécurité et du renseignement, ou un changement n'est ni désiré ni nécessaire. »

Me voici arrivée à la fin des remarques que j'ai préparées. Si vous avez des questions, je me ferai un plaisir d'y répondre.

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